Sommes-nous civilisés ?

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Si nous sommes nous-mêmes domestiqués, sommes-nous civilisés ?

Par Baptiste Créteur

Politiciens, peurs et moutons

Le progrès de l’humanité et le destin des peuples doivent beaucoup, sinon tout, à la domestication. Comme le démontre Jared Diamond dans De l’inégalité parmi les sociétés : Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, la domestication des plantes et animaux a permis de produire plus avec moins de ressources. Le destin des peuples tient principalement à la répartition originelle des espèces et aux obstacles naturels à l’échange et au partage.

Mais la domestication ne s’est pas arrêtée aux espèces animales et végétales. Les surplus alimentaires ont permis le développement d’autres productions artisanales, mais aussi de bureaucraties et d’armées. La domestication des hommes commençait.

Par l’administration et la force, des chefs ont pu prendre le pouvoir sur des territoires de plus en plus grands. Ils ont remplacé les anciens « chefs » dont l’autorité, limitée, était reconnue plutôt que subie. Respectés pour leur impartialité, ils ne jouissaient pas de réels privilèges et pouvaient perdre leur place si la tribu en décidait ainsi ; ils tenaient plus du leader que de l’administrateur.

Les nouveaux chefs avaient des possibilités bien plus grandes : administrer leur territoire, usant si nécessaire de la force pour capter une partie des ressources produites ; et piller les ressources des territoires voisins. Dès que les rendements et la productivité ont permis de nourrir plus de population, ces ressources ont inclus les hommes : l’esclavage était né.

Les nouveaux chefs ont donc pu prendre le pouvoir sur leurs administrés, devenus partiellement esclaves ; et capturer des esclaves dans les territoires voisins. C’est bien d’une domestication qu’il s’agit : placer une espèce dans les conditions les plus favorables à de bons rendements pour augmenter la taille des récoltes. Le processus de « civilisation » a été un processus de domestication de l’individu, extrait d’une nature dure et imprévisible pour devenir semblable à un animal de ferme. Le grain est gratuit, mais la poule ne conserve pas ses œufs.

Bien entendu, de nombreux phénomènes ont accompagné la civilisation. La religion et les idéologies sont devenues des sources de pouvoir plus efficientes que la force physique ; le choix plus grand laissé aux individus dans le choix de leur profession a permis d’accroître la production, alors que l’impôt permettait aux chefs de capturer une partie de la valeur créée par toutes les activités sans avoir besoin de posséder quoi que ce soit.

Le pouvoir est devenu démocratique ; c’est dans « le peuple » qu’il trouve sa source et sa légitimité. Et les États modernes offrent de nombreux services, qui pour lui ont un double mérite. Ils « offrent » une contrepartie élargie à l’impôt, le rendant d’autant moins contestable. Et ils emploient une partie de la population aux frais des autres ; les « serviteurs de l’État » auront tout intérêt à défendre bec et ongles leur position souvent confortable, et donc à soutenir l’État coûte que coûte.

La civilisation telle que nous la connaissons a ses inconvénients. L’idée de vivre comme un animal de ferme a bien peu pour plaire, ni d’ailleurs l’idée de vivre sur leur dos – si tant est que ceux qui sont dans cette position en soient conscients. Mais quelle est l’alternative ?

Vaut-il mieux vivre en homme civilisé, domestiqué, en acceptant d’être privé de sa liberté contre la garantie d’un certain confort et d’une ration quotidienne ? Ou retrouver l’état de nature, qui place l’individu à la merci des éléments, des animaux sauvages et des hommes qui les imitent ?

Heureusement pour ceux qui ne peuvent se résoudre à choisir entre l’esclave moderne et le sauvage, entre la tyrannie de la majorité et la loi de la jungle, il existe une autre voie. La voie de la liberté.

La liberté dit « Tu es libre ». Pas « Tu es libre, mais… ». Et comme le montre David Boaz, du Cato Institute, c’est exactement ce qu’implique la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 un mois après la prise de la Bastille.

Certains articles libèrent l’individu :

«  Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. […]

Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. […]

Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé […] »

… et d’autres subordonnent sa liberté à d’autres considérations :

«  Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale.

Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

(Les articles 1, 4 et 17 sont volontairement tronqués.)

Si sa liberté est subordonnée à la volonté générale, à la Souveraineté de la Nation, à l’intérêt général, à la nécessité publique, l’homme n’est pas libre. Il est soumis à une « souveraineté collective », forme de tyrannie. Faire partie d’une communauté auto-gouvernée n’est pas suffisant pour être libre : il faut pour cela des garde-fous. Des droits inaliénables.

« Si les efforts de la Révolution pour la liberté individuelle ont à ce point échoué, c’est principalement parce qu’elle a instauré la croyance que, puisque désormais tout pouvoir était placé dans les mains du peuple, tous les garde-fous contre les abus de ce pouvoir devenaient superflus. »Hayek, La Constitution de la Liberté

Quand nous serons parfaitement affranchis de la tribu, que nous ne serons plus soumis à la loi du plus fort – qu’il soit un malfrat ou un gouvernement élu – alors nous serons libres. Alors nous serons civilisés.

« La civilisation est le processus qui libère l’homme des hommes. »Ayn Rand, For the New Intellectual


L'article original (reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur) : http://www.contrepoints.org/2015/08/18/216964-sommes-nous-civilises
Par Baptiste Créteur


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