Le radiometre de Crookes

De WikiUpLib
Aller à : navigation, rechercher

Un court mais passionnant article de science et d'histoire des sciences. Une magnifique illustration historique (parmi tant d'autres) de la pratique scientifique.


Le radiomètre de Crookes

Par Timo van Neerden

Suite à mon article sur le thermomètre de Galilée, dont le fonctionnement peut être mal interprété, en voici un autre à propos d’un objet décoratif (et éducatif) et beaucoup moins connu : le radiomètre de Crookes, aussi appelé « éolienne solaire ».

Cet appareil, qu’on aurait tendance à trouver dans un labo plutôt que le salon est sympathique aussi : c’est une sorte d’hélice posée sur une aiguille, le tout dans une bulle en verre sous vide. Les pales des hélices ont toutes une face noire et une face brillante. L’hélice se met à tourner quand on l’éclaire :

Fichier Wikipédia (CC)

Ce qui est le plus amusant avec cet appareil, c’est que son fonctionnement est contraire à ce pourquoi il a été inventé. Cet appareil, inventé en 1873 par Sir William Crookes était destiné à démontrer la pression de radiation : c’est la pression exercé par la lumière. À l’époque, l’hypothèse avait en effet été émise que la lumière exerçait une pression : il serait alors possible de pousser un objet simplement en l’éclairant (cette hypothèse a par la suite été validée et de nos jours, la Nasa utilise des sondes avec une voile solaire qui utilise ce principe pour voyager dans le vide).

Pour Crookes, une façon de démontrer l’hypothèse était donc de faire une hélice avec les pales noires d’un côté et brillantes de l’autre, le tout sous vide. La face noir absorbant la lumière, la poussée proviendrait alors de la face brillante : vu que la lumière « rebondit » dessus, elle pousserait alors l’hélice du même coup.

Quand Crookes plaça son radiomètre sous une source de lumière, l’hélice se mit à tourner… dans le sens inverse : la face noir poussant la face brillante, ce fut donc exactement le contraire de ce qui était attendu !

Le problème du radiomètre de Crookes n’était pas un souci de conception, mais un problème de technologie : pour que la très faible pression radiative (10−11 bar) de la lumière puisse être mise en évidence, il faut un vide presque absolu et l’absence de frottements la plus totale possible. Les moyens de l’époque n’était pas suffisants pour faire ça, et il en résultait que le « vide » régnant dans l’enceinte en verre n’était que partiel (10−5 bar). Albert Einstein calcula que le mouvement des molécules de l’air suffisaient pour interférer et surpasser avec la pression radiative : le côté noir de la plaque chauffant d’avantage, la couche d’air à son contact direct chauffe aussi et la pression augmente d’avantage du côté noir. De plus, Osborne Reynolds montra que l’air qui se trouve sur les bords des pales de l’hélice diffusaient du côté brillant vers le côté sombre malgré la différence de pression déjà en place, augmentant encore peu cette différence.

Le résultat est donc que l’air dans le vide partiel agit comme un moteur thermique dont la source de chaleur est la lumière, indépendamment de la pression de radiation.

Un vide beaucoup plus poussé et une absence de frottements auraient à l’époque pu permettre une rotation uniquement par la pression de la lumière, et donc dans le sens attendu. Un vide moins poussé, quant à lui, empêche toute rotation à cause des frottements de l’air. Un véritable détecteur de la pression de radiation fut mis au point en 1901 par Ernest Fox Nichols : il consistait en une fine fibre de quartz au bout de laquelle étaient suspendus deux miroirs d’argent. La fibre se torsadait avec un angle plus ou moins important selon l’intensité de l’éclairage. Sans rotation, le radiomètre de Nichols pouvait fonctionner même dans un vide partiel de 10−1 bar et avec de bon résultats.

La conclusion ici est double. Premièrement, certains dispositifs ont des comportements étranges, comme le Radiomètre de Crookes, dont les pales se mirent à tourner dans le sens opposé à celui que tout le monde attendait. Et deuxièmement, ce n’est pas parce que le radiomètre de Crookes ne fonctionnait pas que la pression de radiation était une idée fausse : la pression de radiation existe et est présente à chaque fois qu’on éclaire quelque chose. Le radiomètre de Crookes ne constitue simplement pas l’équipement adapté pour le mettre en évidence (il a fallu attendre trois décennies pour que Nichols fabrique un appareil qui puisse mettre cette pression en évidence).

L’étrangeté en sciences, c’est ce qui permet de faire avancer le monde : et la véritable avancée ce n’est pas quand on s’exclame « eureka », mais plutôt quand on se dit « tient, ça c’est étrange… ».


L'article original (sous licence CC) : http://couleur-science.eu/?d=2015/09/14/16/23/42-le-radiometre-de-crookes
Par Timo van Neerden (Première parution de l'article : 14/9/2015)


Actualité et pages connexes


Liens