Fonction publique un statut hypocrite

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Un article court et instructif quant aux grandes lignes de l'histoire de la fonction publique en France.




« Fonction publique : un statut hypocrite »

Par Jean-Philippe Feldman

Emmanuel Macron a l’art de provoquer les polémiques. Sa sortie médiatique pose au préalable une question constitutionnelle. A priori un membre du gouvernement n’a pas vocation à faire des déclarations que ses « supérieurs » doivent s’empresser de démentir. « Un ministre n’est pas libre de ses propos », a justement rappelé la ministre de la Fonction publique. Formule plus élégante que celle de Jean-Pierre Chevènement, passée au rang d’apophtegme : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».

Comme les polémiques se succèdent au fil des sorties du ministre de l’Economie, on peut supposer qu’elles sont savamment calculées. La question est alors de savoir quelle est l’intention de Monsieur Macron. S’agit-il d’étaler l’archaïsme d’une des gauches les plus arriérées qui soient ? Car enfin, de quoi s’agit-il ? Le ministre a affirmé -ce qui devrait être un lieu commun- que le fait d’avoir un emploi à vie garanti n’est pas défendable pour certains fonctionnaires. Pourtant le Président de la République et le Premier Ministre se sont immédiatement affichés comme des défenseurs inconditionnels du statut général des fonctionnaires. Selon François Hollande, un fonctionnaire a « des droits et des devoirs » ; selon Manuel Valls, le statut ne peut obéir aux lois du marché », car les fonctionnaires doivent servir l’« intérêt général ».

Pour comprendre ce bal des hypocrites, il faut en revenir aux origines du statut unique de la fonction publique.

Au XIXe siècle, les syndicats officieux des fonctionnaires ne voulaient, pour la plupart, pas entendre parler d’un statut, et ce pour deux raisons : il convenait de ne pas collaborer avec un Etat qui devait être aboli par la « classe ouvrière » dont faisait partie l’essentiel des fonctionnaires ; un statut signifiait l’interdiction du droit syndical et plus encore du droit de grève. C’est le gouvernement de Vichy qui a instauré en 1941 le premier statut et qui a, entre autres, effectivement interdit le droit de grève et mis en exergue le devoir de réserve des fonctionnaires.

Sous l’égide des marxistes, à commencer par le très soviétophile Maurice Thorez, chargé de la réforme administrative en tant que vice-président du gouvernement, le statut général des fonctionnaires a été voté en 1946 à l’unanimité. Alors que la CGT était traditionnellement opposée à un statut, elle s’y rallie après-guerre.

La fonction publique se trouvait alors régie par un statut dérogatoire au droit commun, applicable à l’ensemble des fonctionnaires et qui reconnaissait le droit syndical. Statut exorbitant puisque non seulement les fonctionnaires bénéficiaient des avantages du secteur privé, à commencer par le droit de grève, mais encore de privilèges inconnus des salariés du privé mais aussi de moult fonctionnaires de pays étrangers. Ainsi les fonctionnaires peuvent-ils se livrer sans restriction à des activités publiques ou encore obtenir un détachement de droit pour l’exercice d’une fonction élective ou d’un mandat syndical.

C’est sous l’égide des communistes une nouvelle fois lors de l’« expérience » de 1981, et notamment sous celle du ministre communiste de la Fonction publique soutenu par un Premier Ministre lui-même fonctionnaire et syndicaliste, que le statut général a été réformé entre 1983 et 1986 par le renforcement des droits et garanties accordés, et l’officialisation du pouvoir de négociation des syndicats.

En réalité, certaines dispositions des statuts successifs n’ont pas eu l’effectivité prévue du fait des pressions syndicales : les révocations par mesure disciplinaire et les licenciements pour insuffisance professionnelle constituent de rares exceptions ; les primes de rendement individuelles n’ont pas reçu l’application convenue ; le principe de la « continuité » du service public a cédé devant un droit de grève omniprésent. Quant au caractère général ou unique du statut, il n’a jamais correspondu à la réalité puisque le statut de 1946 ne concernait pas les agents des collectivités territoriales et qu’aujourd’hui encore la fonction publique, pourtant pléthorique, ne marche, rigidité du statut oblige, que du fait de la présence d’un million de contractuels !

La fonction publique française est un champ de ruine qui magnifie les droits des fonctionnaires, mais qui a tendance à oublier leurs droits et leurs devoirs. Sous couvert de progressisme, le conservatisme le plus éculé y règne en maître sur fond de syndicalisme frileux et de politisation éhontée.

Il ne faut cependant pas oublier que l’abolition du statut de la fonction publique n’est pas une panacée. Dire que les fonctionnaires devraient pour la plupart d’entre eux dépendre du droit commun, c’est oublier que le Code du travail est lui-même dérogatoire au droit commun. Une réforme ne saurait donc se concevoir de manière isolée : c’est tout le droit du travail qui doit être revu.

par Jean-Philippe Feldman
Professeur agrégé des facultés de droit
Maître de conférences à sciencesPo
Avocat à la Cour de Paris




L'article original : http://fr.irefeurope.org/Fonction-publique-un-statut-hypocrite,a3482
Par Jean-Philippe Feldman. Première publication : 28/9/2015


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