Autiste et Wikipédien

De WikiUpLib
Révision datée du 21 août 2015 à 16:44 par Admin (discussion | contributions) (Page créée avec « <html> <div class="addthis_toolbox addthis_default_style " addthis:url="http://uplib.fr/wiki/UL15082116" addthis:title="Autiste et Wikipédien, par Guillaume Paumier - ... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à : navigation, rechercher

<addthis />

Autiste et Wikipédien, par Guillaume Paumier

[[|frame|]]

Il y a deux ans, j’ai découvert que j’appartenais au spectre autistique. Cela m’a permis de mieux comprendre comment je fonctionnais, et comment mon cerveau fonctionnait; j’ai ainsi pu analyser mes expériences passées d’un nouvel œil. Dans cet essai, je souhaite partager ce que j’ai appris au cours de ce processus, à travers mes succès, mes échecs, et de nombreuses situations que je n’ai pas comprises à l’époque, notamment au cours de mes interactions avec d’autres Wikipédiens.

Cet essai est à l'origine de ma présentation du même nom donnée lors de la conférence Wikimania 2015. Ce n'est pas une retranscription fidèle. Il s'agit d'un brouillon, que j'ai décidé de publier maintenant afin d'éviter une attente trop longue ; je vais continuer à le peaufiner au cours des prochaines semaines, et vous pouvez contribuer à son amélioration. Le texte original en anglais est également disponible.

A l'école maternelle.

Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de cette époque, mais mes parents se rappellent notamment que, bien que je ne fus généralement pas très enthousiaste à l'idée d'aller à l'école durant la semaine, je demandais plus souvent à y aller le samedi matin, car la plupart des autres enfants n'étaient pas là.

Je n'avais rien contre eux personnellement ; l'école était simplement plus calme le samedi. Je n'avais pas à interagir avec les autres enfants, et je n'avais pas besoin de partager les crayons, les jouets, ou même la pièce. Je pouvais faire ce que je voulais sans avoir à me soucier des autres enfants.

Je ne le savais pas à l'époque, mais il me faudrait près de 30 ans pour regarder cette anecdote sous un nouveau jour, et comprendre en quoi elle était en fait complètement logique.

Aujourd'hui

J'ai maintenant 32 ans, et beaucoup de choses ont changé. Il y a deux ans, après quelques difficultés au travail, mon compagnon a décidé de me dire qu'il soupçonnait depuis quelque temps que j'appartenais au spectre autistique. Je ne savais que très peu sur l'autisme à l'époque, mais c'était une hypothèse qui semblait expliquer beaucoup de choses, et méritait d'être explorée.

Bien sûr, le sujet avait été abordé plusieurs fois au fil des ans, notamment lors de mes études, mais toujours comme une plaisanterie, une exagération de mon comportement. Je n'avais jamais vraiment pensé que cette définition pouvait s'appliquer à moi.

L'un des problèmes est que l'autisme est généralement représenté de manière très uniforme dans la culture populaire. Les films comme Rain Man présentent des autistes savants qui, même s'ils ont des capacités extraordinaires, vivent dans un monde complètement différent, et parfois ne parlent pas du tout. Le spectre autistique est beaucoup plus large que ces exemples stéréotypés.

Au fur et à mesure de mes recherches sur le sujet, de mes lectures de livres sur l'autisme et d'autobiographies de personnes autistes, je me suis rendu compte d'à quel point mon expérience était proche de ce qui y était décrit.

Il a fallu un peu plus de temps (et quelques tests) pour obtenir une confirmation de la part d'experts. Même quand cette confirmation est arrivée, le doute était encore très présent auprès des membres de ma famille.

La question qui revenait le plus souvent était la suivante : « Pourquoi n'a-t-on pas détecté ça plus tôt ? » En effet, l'autisme est généralement remarqué à un âge beaucoup plus jeune, et apparemment j'avais réussi à me déguiser, pendant la plus grande partie de ma vie, en « neurotypique », c'est à dire quelqu'un dont le cerveau fonctionne de façon similaire à la plupart des gens.

L'hypothèse qui prévaut actuellement pour expliquer ce déguisement est basée sur un test de QI réalisé lors du processus d'évaluation. Ce test a suggéré que j'avais des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne, qui me permettent apparemment de compenser en partie la différence de structure de mon cerveau.

Pour mieux comprendre cette explication, j'aime utiliser une analogie informatique : c'est comme si mon processeur tournait à une fréquence plus élevée que la moyenne, ce qui me permet d'émuler avec un logiciel ce que le hardware ne sait pas faire. Cette analogie illustre également ceci : combien faire tourner ce programme en permanence peut être fatigant, et pourquoi j'ai parfois besoin de me reposer en m'isolant.

Comme vous pouvez l'imaginer, se rendre compte à 31 ans que l'on est sur le spectre autistique change complètement sa perception du monde : tout paraît soudain beaucoup plus logique. J'ai beaucoup appris sur moi-même au cours des deux dernières années, et cette métacognition accrue m'a permis de regarder les évènements passés d'un œil nouveau.

Dans cet essai, je veux partager quelques unes des choses que j'ai apprises, et ma compréhension actuelle de la façon dont mon cerveau fonctionne. J'utiliserai notamment mes expériences de Wikimédien comme illustration.

Je veux commencer avec une mise en garde : l'autisme est un spectre. Il y a un dicton populaire parmi les communautés d'autistes sur internet : « Vous avez rencontré un autiste, vous avez rencontré un autiste. » Ce que je décris ici est basé sur mon expérience personnelle, et n'est pas applicable de façon universelle à toutes les personnes autistes.

"Taipei Wm2007Guillaume.jpg", par Cary Bass, sous licence CC-By-SA 3.0 Unported, depuis Wikimedia Commons.

La photo ci-dessus a été prise lors de la conférence Wikimania 2007 à Taipei, alors que j'explorais la ville avec Cary Bass (User:Bastique) et d'autres Wikimédiens. En regardant cette photo aujourd'hui, je remarque plusieurs choses qui m'avaient échappé auparavant :

  • Dans cette photo, je porte des vêtements simples, aux couleurs plutôt neutres, parce que je n'ai absolument aucun sens de la mode.
  • Je porte deux sacs (un sac à dos et un sac photo), parce que j'emmène toujours avec moi tout un tas de choses pour être prêt pour quasiment n'importe quelle situation.
  • Je me suis assis pour changer d'objectif sur mon appareil photo. La position assise est plus stable, et réduit ainsi le risque de chute (et de casse) de mon matériel photo coûteux. J'ai appris plus tard que cette habitude d'utiliser des positions très stables était en fait une stratégie d'atténuation que j'ai développée au fil des années sans le savoir, pour compenser des problèmes d'équilibre et de coordination motrice.

Spock

Une bonne analogie pour aider à comprendre ce que ça fait d'être autiste dans une société neurotypique est de regarder M. Spock, dans la série originale Star Trek. Fils d'un père Vulcain et d'une mère humaine, Spock est techniquement à moitié humain, mais c'est son côté Vulcain qui est le plus visible lors de ses interactions avec l'équipage de l'Enterprise.

Spock and Kirk. "Leonard Nimoy William Shatner Star Trek 1968", par NBC Television, dans le domaine public, depuis Wikimedia Commons.

Certains des moments les plus drôles de la série sont ses discussions animées avec l'irascible docteur McCoy, qui qualifie Spock d' « automate insensible » et d'« homme le plus dépourvu de sentiments qu'[il ait] jamais rencontré". Ce à quoi Spock répond : « Oh, je vous remercie, docteur." 1

En tant que Vulcain, Spock ne vit que par la logique. Bien qu'il ressente des émotions, elles sont profondément refoulées. Sa façon de parler est très détachée, presque clinique. Les collègues de Spock le trouvent souvent dédaigneux, dépourvu d'émotions, ou tout simplement malpoli, du fait de son point de vue logique et utilitariste.

À bien des égards, les traits de Spock sont similaires à ceux de l'autisme, et de nombreuses personnes autistes s'identifient à lui. Par exemple, dans son livre Thinking in Pictures, Temple Grandin, une scientifique et auteure autiste de renom, raconte comment elle se sentait proche de Spock:

«  Beaucoup de gens autistes sont fans de la série télévisée Star Trek. [...] Je me suis fortement identifiée avec le logique M. Spock, car son mode de pensée me semblait très proche du mien.
Je me souviens très bien d'un vieil épisode car il dépeignait un conflit entre la logique et l'émotion d'une manière que je pouvais comprendre. Un monstre tentait de fracasser la navette d'exploration avec des rochers. Un membre d'équipage avait été tué. Le logique M. Spock voulait décoller et s'échapper avant que le monstre ne détruise la navette. Les autres membres de l'équipage refusaient de quitter la surface avant d'avoir récupéré le corps du membre d'équipage mort. [...]
J'étais d'accord avec Spock, mais j'ai appris que les émotions dominent souvent la logique, même si ces décisions sont dangereuses. (2) »

Dans cet exemple, et dans de nombreux autres, le filtre de perception de Spock l'empêche de comprendre les décisions humaines motivées principalement par l'émotion. Ces actions semblent stupides ou absurdes, parce que Spock les interprète à travers son œil logique. Il lui manque le contexte culturel, les normes sociales et les hypothèses tacites inconsciemment partagés par les humains.

L'inverse est également vrai : Chaque fois que les humains sont perplexes ou ennuyés par Spock, c'est parce qu'ils attendent de lui qu'il se comporte comme un humain ; ils sont souvent confrontés à une vérité plus dure qu'ils ne le souhaiteraient. Les humains interprètent le comportement de Spock à travers leur propre filtre de perception, le filtre émotionnel. Ils comprennent souvent mal ses motivations, présument la mauvaise foi, et projettent des intentions qui changent le sens des paroles et des actions du Vulcain.

Autisme

Vous avez probablement entendu parler des modèles de communication. Dans de nombreux modèles, la communication est représentée comme la transmission d'un message entre un émetteur et un récepteur. Dans un modèle de communication simple, l'émetteur formule un message et le transmet au receveur, qui l'interprète. Le receveur fournit également un retour à l'émetteur.

Si l'on applique ce modèle à une discussion orale entre deux personnes, le modèle devient plus complexe à cause de la communication non verbale. Celle-ci fait intervenir de nombreux autres signaux, tels que l'intonation, les expressions faciales et le langage corporel.

Si l'on applique ce modèle à une conversation orale, on voit rapidement toutes les possibilités de mauvaise communication : entre ce que l'émetteur pense, ce qu'il communique, ce que le récepteur entend, et ce qu'il comprend, l'information peut changer drastiquement, surtout quand on prend en compte la communication non verbale. C'est comme si les deux personnes jouaient au téléphone arabe. Le psychologue Tony Attwood l'explique ainsi :

«  Chaque jour, les gens font des suppositions de manière intuitive concernant ce que quelqu'un peut penser ou ressentir. La plupart du temps, on tombe juste, mais le système n'est pas sans faille. Nous ne lisons pas dans les pensées de façon parfaite. Les interactions sociales seraient tellement plus facile si les gens typiques disaient exactement ce qu'ils pensent, sans suppositions ou ambiguïté. (3) »

Si cela est le cas pour les personnes neurotypiques (les gens avec un cerveau « typique »), imaginez combien cela peut être difficile pour les autistes comme moi. Une très bonne analogie est donnée dans le film Imitation Game, inspiré de la vie d'Alan Turing, qui est présenté dans le film comme appartenant au spectre autistique. caption

Photo extraite du film Imitation Game. © 2014 The Weinstein Company. Tous droits réservés.

Si l'on met de côté les critiques liées à la liberté artistique et la dramatisation, l'un de mes moments préférés dans le film est quand le jeune Alan discute avec son ami Christopher de messages codés. Christopher explique la cryptographie comme des « messages que tout le monde peut voir, mais dont personne ne sait ce qu'ils signifient, sauf si l'on a la clé."

Alan répond, très perplexe :

«  En quoi est-ce différent d'une discussion ? [...] Quand les gens parlent entre eux, ils ne disent jamais ce qu'ils pensent, ils disent autre chose. Et on est censé comprendre exactement ce qu'ils veulent dire. Seulement, moi, je ne comprends jamais. »

Les personnes autistes sont caractérisées par de nombreuses spécificités, mais l'une des plus répandues est la cécité sociale : nous avons du mal à lire les émotions des autres. Nous manquons de « Théorie de l'esprit », qui sert aux personnes neurotypiques à déterminer les états mentaux (comme les croyances et les intentions) des autres. Nous prenons souvent les choses au premier degré, parce que les sous-entendus nous échappent: il est difficile pour nous de lire entre les lignes.

Liane Holliday Willey, autiste, auteure et conférencière, l'explique ainsi :

«  Personne n'aurait besoin d'une théorie de l'esprit si les gens disaient simplement ce qu'ils pensent. (4)  »



L'article original (sous licence CC) : http://guillaumepaumier.com/fr/2015/07/29/wikipedien-autiste/
par Guillaume Paumier



Actualité et pages connexes


Liens



<addthis />