René Thom/Paraboles et catastrophes
De René Thom. Paru en italien en 1980 et en français en 1983.
Bouquin plutôt iconoclaste. Un regard assez lucide sur la distinction entre l'accessoire et le fondamental. Beaucoup de critiques au réductionnisme ... qui s'avèrent largement fondées aujourd'hui (2017).
Quand on lit la littérature scientifique aujourd'hui (2017) pour une très large part on a imperturbablement affaire à un schéma largement identique : le système à comprendre est regardé au microscope (décomposé en éléments plus petits) et l'exhibition de ces éléments plus petits est présenté (ingénument) comme la compréhension de la dynamique du système. Quant bien même l'exhibition n'explique absolument rien. Les prétentions d'explication sont d'ailleurs rapidement contredites par le fait que l'étape suivante consiste immanquablement à fractionner les petits éléments en éléments encore plus petits, et là, juré craché, on tiendra l'explication.
C'est ainsi, qu'au bout du compte, à s'enfoncer dans l'infiniment petit au hasard, on se retrouve à faire semblant de croire que les trajectoires croisées des protons, électrons, etc expliquent le mariage de la princesse de Kent.
Comme si, sur une scène de meurtre, la découverte du couteau suffisait à expliquer le meurtre. Et le démontage du couteau en lame + poignée + vis pouvait apporter des explications supplémentaires.
Les remarques de René Thom ne sont pas de nature à lui faire beaucoup d'amis dans les milieux scientifiques.
Sommaire
Introduction
- Entre la science et le pouvoir s'est établie une sorte de symbiose que l'on pouvait difficilement éviter ... (p. 14)
- ... la science a renoncé dans une large mesure à une vision interdisciplinaire ... (p. 15)
- ... il y a eu plus de savants après 1950 que pendant toute la période historique antérieure ... Un développement énorme qui toutefois n'a produit que des résultats très disproportionnés avec l'effort engagé ! (p. 15) + réflexions analogues p. 48, 50 et p. 52
Chapitre premier - Un regard sur les sciences
Considérations générales (intéressantes) sur les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie.
- il a été aberrant de prétendre que les mathématiques pouvaient se fonder toutes seules ; (p. 26)
- malheureusement ils (les physiciens) prétendent tirer un résultat numérique rigoureux à partir de théories qui, conceptuellement, n'ont ni queue ni tête. (p. 33)
- le temps reste, malgré tout, quelque chose de fondamentalement irréversible. (p. 36)
- des notions telles que celle de valence, de liaison chimique, etc., m'ont toujours semblé très peu claires du point de vue conceptuel. (p. 40)
- on ne peut raisonnablement pas espérer comprendre la morphologie du vivant avant d'avoir bien compris celle des milieux inanimés. (p. 41)
- En réalité, si on regarde de près la démonstration du second principe de la thermodynamique, il n'y a absolument rien qui permette d'affirmer que la variation de l'entropie soit nécessairement liée à une évolution vers un état chaotique. (p. 41) (voir les travaux actuels (2017) de Jeremy England)
- la pensée biologique contemporaine est encore, je crois, trop fascinée par la molécule et n'a pas suffisamment conscience des contraintes globales qui agissent dans le métabolisme. (p. 44)
- toute la biologie contemporaine est dominée par l'expérience. (P. 46)
- les biologistes contemporains estiment qu'ils n'ont absolument pas besoin de théories. (p. 46)
- il faut être d'une incroyable naïveté pour croire qu'une seule substance chimique puisse agir sur tous les types de virus ... Mais toute l'histoire de la biologie moléculaire n'est qu'une série de naïvetés de ce calibre, contredites par l'expérience. (p. 53)
- le pseudo-progrès de la biologie moléculaire a été un progrès de simple description, non d'explication. (p. 53)
- L'"inflation expérimentale" n'est pas moins pernicieuse que l'inflation économique ... (p. 54)
- la caste des savants expérimentaux qui fondent leur carrière sur cette expérimentation routinière ... (p. 54)
- il y a beaucoup de situations pour lesquelles comprendre et agir sont assez fondamentalement dissociés. (p. 55)
- quelques rares exceptions (Poincaré, Schrödinger, etc.) (p. 57, parlant des philosophes des sciences)
- En conclusion, je localise l'effort théorique de la science dans sa capacité d'organiser les données de l'expérience selon des schémas imposés par des structures théoriques. (p. 58 (structures mathématiques bien sûr. Thom insiste là-dessus.).
Chapitre II - La théorie des catastrophes
- p. 60
- je crois que même en biologie ce sont les structures mathématiques qui ordonneront les phénomènes les plus importants. (p. 66)
- la théorie des catastrophes pourra être très utile (...) au moyen de constructions mathématiques qui seraient à la fois les plus simples et les plus robustes. (p. 66)
- une morphologie est engendrée par le conflit de deux (ou plus) attracteurs. (p. 73)
- « substituer au visible compliqué de l'invisible simple » (p. 83) (de Perrin)
- « la théorie des catastrophes suppose justement que les choses que nous voyons sont seulement des reflets et que pour arriver à l'être lui-même il faut multiplier l'espace substrat par un espace auxiliaire et définir dans cet espace produit l'être le plus simple qui donne par projection son origine à la morphologie observée. » (p. 85)
- l'intérêt d'une recherche réside dans sa capacité à révéler une structure sous-jacente qui rende les phénomènes intelligibles. (p. 90)
- On appelle alors « explication » tout procédé dont le résultat consiste à réduire l'arbitraire de la description. (p. 91)
- dans une singularité, il y a concentration en un point d'une forme globale que l'on peut reconstruire par déploiement ou désingularisation. (p. 91)
(et c'est probablement la désingularisation la plus simple qui est celle à considérer).
- C'est Zeeman qui a forgé le terme « théorie des catastrophes » (p. 98)
- « les méthodes quantitatives s'accommodent mal des phénomènes discontinus parce que tout modèle quantitatif repose en dernière analyse sur l'emploi des fonctions analytiques, donc continues. La présence de morphologies exclut « a priori » l'existence d'un problème bien posé au sens de l'Analyse. »
- « Il faut replacer le phénomène dans son environnement.« » (p. 107)
- L'environnement d'un phénomène, ce sont aussi les échecs du développement du phénomène. L'histoire d'un embryon malformé donne aussi des informations sur l'embryogenèse. Les outliers donnent aussi des informations.
- « ... ces archétypes se manifestent sur n'importe quel substrat. » (p. 109)
- « ... principe, par ailleurs discutable, que les morphologies sont fondamentalement liées à la nature des constituants. » (p. 109)
- « La théorie des catastrophes élémentaires est, en quelque sorte, une théorie du substrat plus général, du substrat indifférencié, je dirais même de la materia prima des scolastiques. » (p. 109)
- « J'estime, en revanche, que la forme entendue dans une très large acception est un concept infiniment plus riche et plus subtil que le concept de force, » (p. 113)
- « »
Chapitre III - Epistémologie et philosophie
- « Un paradigme vit longtemps et survit beaucoup à son efficacité, surtout pour des raisons sociologiques. » (p. 115)
- Dieu que c'est vrai. Le paradigme, c'est la maison intellectuelle du chercheur. La plupart des chercheurs ne veulent pas vivre en dehors d'une maison.
- Le point commun des chercheurs aux 2 bouts du spectre, c'est d'avoir au final peu de disciples
- « ... le sujet, incapable de saisir la cause véritable de son mal, se forge un faux objet sur lequel agir, ce qui a pour résultat d'éliminer (seulement) les aspects psychologiques de la crise en question. » (p. 118)
- « Dans tous les cas que j’ai cités [crise politique, économique, biologique] la crise intervient chez le sujet à cause d’une absence ou d’une ambiguïté de son objet « normal » (il n’y est plus, il y en a trop, etc.) due à la présence d’une situation conflictuelle dans le milieu. Résoudre la crise signifie alors choisir un objet opportun où le sujet retrouve son propre objet « naturel » et sur lequel le sujet peut agir (par exemple la capture): ce mécanisme d’extinction des crises -qui ramène le sujet à une sorte de « credo » rassurant- est à ce point efficace que parfois le sujet, incapable de saisir la cause véritable de son mal, se forge un faux objet sur lequel agir, ce qui a pour résultat d’éliminer (seulement) les aspects psychologiques de la crise en question. En biologie et également en sociologie, ces pseudo-solutions sont très nombreuses. Qu’il nous suffise de penser tout simplement aux boucs émissaires auxquels la communauté sociale en crise recourt trop souvent (le cas des persécutions et des guerres provoquées par le régime nazi est typique). Or, les pseudo-solutions ont souvent une efficacité locale indéniable, mais le fait d’insister dans ces pseudo-solutions au-delà d’une certaine limite engendre très vite une situation analogue à celle des crises dues à l’hybris: un mécanisme qui est apparu avantageux jusqu’à ce qu’il se révèle désastreux au-delà d’un certain seuil… » - René Thom, Paraboles et catastrophes p.118
- « Chez un être vivant, une crise doit toujours être rapportée à un défaut de ses mécanismes de régulation » (p. 119)
- « « ce qui limite le vrai n'est pas le faux, mais l'insignifiant ». Et la science moderne, au point où elle en est, est un torrent d'insignifiance proprement dit. » (p. 127)
- « ... je me demande effectivement si cela vaut la peine de continuer à insister de façon aussi obstinée dans l'étude des particules élémentaires et des hautes énergies. » (p. 128)
- « Le comportement des macromolécules est quelque chose d'extraordinairement surprenant ... » (p. 131)
- « Le même accident morphologique peut être observé dans les substrats les plus différents » (p. 132)
- « Les réductionnistes sont des gens pressés : ils veulent prédire immédiatemment » (p. 133)
- et comme beaucoup de gens pressés ... au final, ils vont bien plus lentement
- « Aristote disait, qu'au cours de leur développement embryologique, les structures se développent de l'abstrait vers le concret ... » (p. 133)
- adaptation des idées théoriques à la réalité
- « En France, la situation de la linguistique [...] est vraiment désastreuse ! » (p. 136)
- « J'ai toujours été surpris par ce caractère "féodal" de la majeure partie des sciences humaines » (p. 136, parlant de linguistique)
- Voir les écrits de Dominique Labbé
- « Toute morphologie est le résultat d'un conflit » (p. 140)
- « Ce n'est qu'en courant le risque de l'erreur qu'on peut trouver la nouveauté. » (p. 142)
- « ... c'est l'infini dénombrable qui est justifié par son immersion dans le continu. » (p. 147)
- « De la biologie moderne, on peut dire qu'elle est une paranoïaque de l'ADN. » (p. 158)
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